En faisant du thème des inégalités d’accès un des 5 axes de réflexion des États généraux du numérique, le ministère de l’Éducation nationale a, fort opportunément, mis l’accent sur un des constats tirés de la période de confinement : tous les élèves n’ont pas pu bénéficier des mêmes conditions d’étude durant cette phase d’empêchement scolaire. Notons que cette inégalité n’est ni nouvelle ni propre à la problématique du numérique.
Néanmoins, la crise sanitaire et la disparité des niveaux d’équipements des familles (ordinateurs, accès internet et espace de travail dédié) ont pu amplifier des situations préexistantes. Elles ont créé une fracture allant jusqu’à provoquer le décrochage de plusieurs dizaines de milliers d’élèves selon le ministre de l'Éducation nationale.
Priorité à l'équipement des enseignants
La problématique de l’équipement des familles peut donc également constituer une nouvelle source d’inégalité d’accès. Là où nos solutions étaient déployées, nous avons ainsi constaté que plusieurs collectivités ont eu recours « en catastrophe » à des prêts de matériels distribués au sein des établissements pour que les élèves puissent continuer leur scolarité.
Même si ces situations ont été exceptionnelles, la question de l’équipement reste posée. Et ceci d’autant plus que les plateformes de services, financées par l’État (CNED) ou les collectivités (ENT) ont été utilisées via l’équipement personnel des enseignants. Dans la continuité des propos précédents, il est donc légitime de penser que la problématique d’équipement a pu toucher le corps enseignant, acteur principal de la continuité pédagogique.
Aujourd’hui, toutes les organisations qui s’appuient sur le numérique pour rendre plus résiliente et efficace leurs opérations, équipent naturellement leurs collaborateurs et en particulier ceux qui animent au quotidien leur chaîne de valeur principale.
Ainsi, il nous parait indispensable que l’État finance l’équipement de ses personnels enseignants, selon des modalités à définir (crédit d’impôt ?) comme le font aujourd’hui la plupart des entreprises et certaines politiques publiques d’autres pays.
Au-delà du sujet du financement, qui reste modique en comparaison d’une stratégie d’équipement globale des élèves, cet investissement serait certainement mobilisateur auprès des enseignants : il faciliterait l’appropriation et l’acculturation aux plateformes et contenus qui peuvent soutenir leurs enseignements. Cela contribuerait également à crédibiliser les politiques publiques en faveur du numérique éducatif ; comment imaginer en effet qu’elles puissent atteindre leurs objectifs sans que leurs principaux acteurs opérationnels soient correctement équipés ? Ceci est une priorité.
Pour ce qui concerne les élèves, les familles pourraient financer tout ou partie de l’équipement des élèves au titre des fournitures scolaires, au moins dans le secondaire, avec des aides ciblées pour les ménages les plus défavorisés. Cette politique d’aide financière ciblée, couplée à une action volontariste des constructeurs, permettrait de proposer des matériels à moindre coût et destinés à un public scolaire. Ceci nous paraît être une piste intéressante pour réduire considérablement la source d’inégalité que constitue l’accès aux équipements.
Dans ce contexte, les équipements individuels des élèves comme des enseignants seraient utilisés indifféremment au sein des établissements comme au domicile. Les collectivités y gagneraient des marges de manœuvre pour se concentrer sur les infrastructures, encore insuffisantes localement, et sur les plateformes logicielles qui constituent la véritable plus-value du numérique éducatif.
Des espaces publics numériques en libre accès
Mais il faut aller encore plus loin. Pour les familles les plus modestes, la difficulté d’acquérir certains équipements se combine avec celle de les utiliser dans de bonnes conditions, notamment en termes de débit (coût des abonnements) et de confort d’usage (nécessité de disposer d’un minimum d’espace personnel). C’est pourquoi, il nous semblerait pertinent de tester la création de tiers lieux d’apprentissage sous forme d’espaces publics numériques, comme il en existe d’ailleurs dans l’enseignement supérieur au travers des bibliothèques universitaires, mais qui seraient cette fois exclusivement dédiés au public scolaire. Accessibles gratuitement sur des plages d’ouvertures étendues (plages horaires au-delà du temps scolaire y compris pendant le week-end…). Ces lieux, dont l’animation pourrait être confiée à des associations dûment labellisées pour éviter toute dérive, constitueraient un maillon nouveau entre l’École et le domicile. Ces lieux pourraient bien évidemment servir d’espaces de travail pour les élèves qui n’en disposent pas dans leur foyer mais aussi également de base aux actions visant à développer une parentalité numérique.
Notons que dans ce domaine, on ne part pas de rien. Des initiatives multiples existent via les associations d’éducation populaire ou de soutien scolaire. Il s’agirait donc de fédérer et de systématiser ces initiatives en fournissant un cadre national de référence (responsabilité de l’État) et en désignant un chef de file unique au niveau territorial. Cette proposition rejoint certaines des ambitions du projet Territoires numériques éducatifs lancé récemment par le ministère de l’Éducation nationale et testé sur les départements de l’Aisne et du Val d’Oise. Il est aussi à noter que le décret 2020-130 du 29 octobre 2020 permet aux bibliothèques universitaires de rester ouvertes, dans le respect des conditions sanitaires, pendant le confinement afin de permettre aux étudiants d’étudier dans de bonnes conditions.
Réduire de façon importante les inégalités d’accès au numérique, accentuées par la crise sanitaire, demandera du temps et des moyens. Compte tenu de la soutenabilité budgétaire incertaine de nouveaux investissements pour les collectivités, un rééquilibrage des financements entre État, collectivités et familles sera sans doute nécessaire. Celui-ci doit s’accompagner d’un approfondissement de la réflexion sur la répartition des compétences entre les différents acteurs, dans le prolongement de la Loi Peillon, afin que chacun ne puisse indéfiniment se renvoyer la balle. L’urgence sanitaire et les nouvelles restrictions rendent cette obligation encore plus ardente.